The pseudo-social life of RaNma

Défouloir au quotidien...

21 septembre 2009

Wikipédia: l'hyperinformation ne sera pas contrôlée par des experts, le savoir n'est plus un pouvoir.

« Je suis un enthousiaste de Wikipédia. On reproche à Wikipédia de ne pas produire de l'info, mais les professeurs non plus n'en produisent pas. Wikipédia est un transmetteur de savoir. Un passeur. Comme les professeurs, comme les journalistes... Bien sûr, il y a des erreurs, mais pas plus que dans l'encyclopédie Britannica . Le nombre d'erreurs contenues dans les livres de la Bibliothèque nationale de France est gigantesque. Qui vérifie le contenu de ces ouvrages ? Qui corrige les erreurs ? Sur Wikipédia, la vérité est rétablie par des bénévoles anonymes et libres. Dans les journaux, les erreurs se recyclent d'article en article. Sur 100 articles écrits à propos de mes livres, pour 99 d'entre eux on sentait que l'auteur n'avait pas lu mon ouvrage. On me demande si je vérifie Wikipédia. Est-ce que je vérifie tous les dictionnaires que je consulte ? Non. Je ne vérifie que le dictionnaire de l'Académie, parce que c'est mon métier.

Même s'il y a des erreurs, Wikipédia, ça marche. Il existe aujourd'hui une encyclopédie libre, gratuite et accessible à tous. Quelle importance que cette encyclopédie ait été créée par des gens issus du monde informatique ? L'imprimerie a été inventée par des gens qui connaissaient le plomb, l'écriture par des gens qui ont découvert le marbre...

Wikipédia, je m'en sers. Tout le monde s'en sert. Pourquoi s'en méfier ? Aujourd'hui, quelle que soit l'invention, elle déclenche des questions négatives. On demande : est-ce dangereux ? Est-ce grave ? Wikipédia est libertaire, collective et gratuite. Quoi de plus généreux ? Wikipédia donne confiance dans ce que peut être un groupement humain.

C'est une entreprise qui n'est pas gouvernée par des experts. Le temps où les gens qui savent expliquent du haut de leur savoir à ceux qui ne savent pas est dépassé. Le temps de la démocratie de la science est arrivé. Aujourd'hui, les blogs de cancéreux en apprennent aux professeurs d'oncologie. Voilà le temps de l'enseignement inversé. Avec Wikipédia, les connaissances ne se transmettent pas du haut vers le bas, mais se partagent. Le professeur en cours magistral, le curé du haut de sa chaire, PPDA sur son plateau de télé, c'est pareil et c'est fini. Le savoir n'est pas un pouvoir. C'est un trésor qui se partage. C'est ce que permet la Toile, et Wikipédia est l'une des composantes de cette évolution. Il faut cesser d'attendre que le savoir tombe d'en haut. Le savoir déversé par des experts me donne des boutons. Il faut apprendre sans y mettre de conditions, sans esprit critique. J'en ai par-dessus la tête de l'esprit critique. Le seul véritable acte intellectuel, c'est l'invention. La critique est aisée, l'invention, difficile. La critique est un acte de ressentiment. L'invention va de l'avant. Et tant pis pour tous nos prophètes de malheur. »



Michel Serres, Académicien

Publié le 21/06/2007 dans Le Point)

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